C’est avec grand plaisir que j’ai accepté l’invitation du président Louis-Paul Rivest à contribuer à la rédaction du Convergence. J’occupe un poste de statisticien à Statistique Canada et j’espère, grâce à mes articles, vous donner un aperçu des nombreux travaux variés qui se déroulent ici à Ottawa. Je couvrirai ainsi dans une série de plusieurs articles les plus récents développements, les nouvelles directions et certains projets particuliers, question de bien illustrer que la statistique à Statistique Canada, c’est bien plus qu’un recensement aux cinq ans et de l’échantillonnage.
C’est en lisant le Mot du président dans la dernière édition publiée en mai dernier que j’ai eu mon inspiration pour le présent article. En fait, les premières lignes écrites par Louis-Paul rejoignent parfaitement le vent de changement qui se passe ici à Statistique Canada. Pour reprendre ses mots exacts : « nous vivons dans des temps intéressants. Le métier de statisticien change. » En effet, le travail de statisticien est en évolution, non pas pour redéfinir ses valeurs fondamentales, mais plutôt pour élargir sa portée et adapter ses méthodes aux réalités d’aujourd’hui. On doit s’assurer de préserver un cadre scientifique rigoureux et, dans le contexte des statistiques officielles, assurer une qualité du produit final qui permet de faire de l’inférence sur la population observée. Des questions et des données : les deux « outils » préférés du statisticien. La bonne nouvelle est que la quantité de données disponibles se multiplie de façon exponentielle. Pour ce qui est des questions… elles ne manquent pas! Le statisticien d’aujourd’hui a donc la chance de contribuer plus que jamais et d’aider les chercheurs, les décideurs et la population canadienne en général à s’outiller pour mieux répondre à leurs questions.
Ce vent de changement a pris de l’ampleur à Statistique Canada et est maintenant mieux connu sous le nom de « modernisation ». Lors d’une rencontre tenue en juillet dernier, le ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique, l’honorable Navdeep Bains, a présenté la vision du gouvernement fédéral visant à fournir un soutien à l’innovation dans un monde axé sur les données.
À défaut de décrire le contenu complet des mesures qui seront mises en place, je reprendrai les commentaires du Statisticien en chef du Canada, monsieur Anil Arora, qui, déclarait lors de cette même rencontre que Statistique Canada prévoit étendre son acquisition et son utilisation de données recueillies par d’autres organismes gouvernementaux et par le secteur privé. Ces informations seront utilisées pour compléter ou remplacer les données d’enquête. Le passage à une utilisation plus accrue de données soi-disant administratives fournira de l’information plus actuelle et réduira le temps passé par les entreprises et les Canadiens à conduire des enquêtes.
Un des piliers importants de cette modernisation est l’adoption d’un mode de prestation des services davantage axé sur les utilisateurs. Le défi additionnel est que la société évolue présentement à la vitesse grand V. Il n’y a pas si longtemps, le délai raisonnable pour recueillir, traiter et analyser des données afin de répondre à une question analytique se chiffrait en mois; avec les outils et données maintenant disponibles, il n’est pas loufoque de penser que la réponse à certaines de ces questions pourrait dorénavant être obtenue en temps (presque) réel.
Voici trois exemples concrets d’initiatives mises en place récemment à Statistique Canada et corroborant cette modernisation. Les budgets fédéraux de 2016 et de 2017 ont consacré des fonds à plusieurs initiatives dont certaines requièrent l’implication directe de Statistique Canada.
D’abord, dans le domaine du tourisme au Canada, La nouvelle vision pour le tourisme inclut plusieurs mesures afin de faire croître le tourisme international au Canada; une de ces mesures stipule le renforcement des données et des paramètres touristiques du Canada. On cherche à se doter de données fiables, claires et exhaustives pour prendre des décisions axées sur des données probantes afin d’appuyer le secteur canadien du tourisme. Pour produire de telles données, le gouvernement a investi des sommes importantes afin de permettre à Statistique Canada de mieux recueillir les données sur le tourisme. Plus précisément, l’Enquête nationale sur les voyages sera enrichie, ce qui entraînera de meilleures données et des niveaux géographiques plus détaillés, tandis que le Compte satellite du tourisme sera élargi pour inclure des données aux échelles provinciale et territoriale. Statistique Canada produit déjà depuis longtemps des statistiques sur le tourisme, mais l’exercice ici permettra, en combinant diverses sources de données, de compléter le portrait avec des données plus riches et d’améliorer le produit final afin de rencontrer les besoins actuels des utilisateurs.
De plus, en matière d’infrastructure, le gouvernement fédéral mettra en œuvre de nouvelles approches pour mesurer les répercussions de ses investissements. Ainsi, Statistique Canada implantera un nouveau cadre de statistiques sur le logement, qui sera une base de données nationale de tous les biens immobiliers au Canada offrant des renseignements sur l’achat et la vente, le degré de propriété étrangère, les données démographiques sur les propriétaires et les caractéristiques du financement. Ce nouveau cadre permettra aux analystes de l’industrie, aux décideurs du gouvernement et aux propriétaires actuels et éventuels d’obtenir des renseignements de façon plus précise et plus rapide. Statistique Canada prévoit commencer à publier les premières données du cadre de statistiques sur le logement avant la fin de 2017. Encore ici, une base de données sur les logements existe déjà depuis plusieurs années; la nouvelle initiative permettra d’augmenter la portée et le niveau de détail de l’information disponible pour une fois de plus répondre aux nombreuses nouvelles questions des décideurs et des utilisateurs de telles données.
Finalement, je m’en voudrais de ne pas mentionner les activités entourant la légalisation du cannabis au Canada, du moins pour ce qui concerne Statistique Canada. Les Canadiens s’apprêtent peut-être à vivre un changement exceptionnel, où une activité illégale serait décriminalisée. Ce changement suscite beaucoup de discussions et de questions, requérant ainsi beaucoup de données dont plusieurs sont inexistantes, soit requièrent un exercice débordant du cadre traditionnel des enquêtes par sondage. C’est un exemple concret où l’innovation et l’ingéniosité seront requises afin de produire toutes les pièces du casse-tête pour ensuite pouvoir mettre ces pièces ensemble et donner un portrait clair et complet de l’impact de ce changement législatif. Statistique Canada prépare donc actuellement son système statistique pour évaluer l’impact de la transition de l’usage illégal du cannabis récréatif et pour éclairer les activités économiques et sociales liées à l’utilisation du cannabis par la suite. Un article sur le sujet est disponible en ligne via le site de Statistique Canada : http://www.statcan.gc.ca/pub/13-605-x/2017001/article/14840-fra.htm
Après plus de 20 ans de carrière dans le domaine de la statistique, je dois dire que ce vent de changement m’emballe. Plusieurs questions et plusieurs défis se présentent à nous. Surtout, nous aurons encore plus d’occasions de contribuer en utilisant notre savoir et notre expertise à bon escient.
François Brisebois