Il est très rare que j’écrive des textes à la première personne. En fait, ça n’arrive jamais. J’écris toujours de manière impersonnelle dans des documents techniques, ou sinon j’emploie le « nous » pour refléter un travail d’équipe. Cependant, ici, je vais me permettre d’employer le « je »[1]. Pourquoi? La raison est simple : la genèse de l’ASSQ présentée dans ce texte, ainsi que la plupart des anecdotes, seront relatées de façon personnelle. Elles reflètent mes souvenirs et ne sont souvent raccrochées qu’à ma seule mémoire. Je vais donc ici raconter la genèse de l’ASSQ selon ma vision personnelle, en espérant qu’elle rejoigne celle des autres acteurs de cette belle aventure qu’a été la création de l’ASSQ.
Introduction
Au départ, on peut se demander : « pourquoi une association? ». Les raisons sont simples. En premier lieu, plusieurs statisticiens sont isolés. Par exemple, dans un ministère ou une compagnie, on ne retrouve souvent qu’un seul ou sinon deux statisticiens. Deuxièmement, la profession de statisticien est méconnue. En effet, pour la plupart des gens, le statisticien est celui qui compile les statistiques sportives. Finalement, la statistique et les statistiques sont souvent mal utilisées. Qui n’a pas vu des journalistes commenter les récents résultats de sondages en dégageant des différences de 1% lorsque la marge d’erreur de ces sondages est de l’ordre de 3%? Donc, il fallait faire quelque chose, et l’idée a germé de se doter d’outils par l’entremise d’une association de statisticiennes et de statisticiens.
1990 : Le tout début
Du milieu des années 1980 jusqu’à la fin des années 1990 s’est tenu un colloque sur les « Méthodes et domaines d’application de la statistique » lors des congrès de l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (ACFAS). Durant le colloque de 1990 a eu lieu un forum sur les associations de statisticiens. Bien que j’étais présent au congrès de l’ACFAS, je n’avais pas personnellement assisté à ce forum. Cependant, on a rapporté que l’on avait noté un intérêt marqué pour la création d’une association québécoise de la statistique. Cette association aurait comme principe fondamental de « regrouper les spécialistes de la statistique au Québec à l’intérieur d’une association francophone spécialement orientée vers le champ appliqué et la promotion de la statistique. »
Cette idée allait faire son chemin puisque le 8 avril 1994, quatre visionnaires décidaient de lancer le projet de créer une association lors de la journée du Comité pour l’avancement de la statistique à l’Université Laval (CASUL). Ces quatre visionnaires étaient : Christian Desbiens de la Société d’habitation du Québec, France Lapointe du Bureau de la statistique du Québec (aujourd’hui, l’Institut de la statistique du Québec), Mario Montégiani du ministère de la Sécurité publique, et Luc Perreault de l’INRS – Eau. Ces derniers avaient le désir de fixer les assises de l’Association Statistique Québec lors de cette journée du CASUL… On avait même dessiné le logo. Malgré toute leur bonne volonté, c’était d’aller trop loin que de penser qu’une telle association verrait le jour aussi vite. La journée du CASUL s’est terminée sans association, mais cependant avec un Comité de fondation.
1994 : Les bases
Le Comité de fondation créé lors de la journée du CASUL de 1994 était composé des membres suivants : Bernard Colin de l’Université de Sherbrooke, Christian Desbiens de la Société d’habitation du Québec, Marc Duchesne d’Asea Brown Boveri, Isabelle Gagnon d’Accès Contrôle Télématique, Ernest Monga de l’Université de Sherbrooke, Mario Montégiani du ministère de la Sécurité publique, Natalie Rodrigue d’Agriculture et agroalimentaire Canada, Julie Trépanier de Statistique Canada, et moi-même, aussi de Statistique Canada. Tout ce beau monde est dans la photo ci-dessous, y compris Ernest Monga qui ne ressort vraiment pas bien dans une photo en noir et blanc[2]. Et il y a eu cette fameuse rencontre, un samedi après-midi, dans une salle de classe de l’Université Laval…
Je me souviens très bien de cet après-midi où nous nous sommes retrouvés devant un tableau vide pour jeter les bases de ce qui allait devenir l’ASSQ. Nous avons commencé par le nom où, au départ, on avait proposé l’Association des statisticiens du Québec. C’est Bernard Colin qui, en référence à certains ordres professionnels du Québec, a suggéré le nom : Association des statisticiennes et statisticiens du Québec. Nous nous sommes dit : « Eh bien, pourquoi pas? », et le nom de l’ASSQ allait être accepté à l’unanimité.
Il fallait alors donner une mission à l’ASSQ. Après plusieurs versions, la mission retenue a été la suivante : Regrouper les statisticiennes et statisticiens en vue de promouvoir la statistique et d’en favoriser la bonne utilisation.
Puis il fallait des objectifs à l’ASSQ, et ceux-ci seraient les suivants :
- Représenter les membres
- Promouvoir l’utilisation de la statistique
- Sensibiliser au bon usage de la statistique
- Développer un réseau
- Favoriser les échanges
- Protéger l’intégrité de la profession de statisticien
- Inciter à la formation continue des membres
On peut voir que ces objectifs sont tout aussi pertinents 20 ans après. Par la suite, nous nous sommes dotés d’un logo. Grâce à ma sœur Lucie qui est graphiste, j’avais pu présenter quelque chose qui, à l’époque, représentait bien l’association. Comme on peut le voir ci-dessous, le « A » de « ASSQ » est représenté par la cloche d’une loi normale. Les lettres « S », « S » et « Q » représentent des barres d’un histogramme s’ajustant à la loi normale. Bref, nous avions un logo bien statistique.
Une des tâches du Comité de fondation a été d’établir les statuts de l’ASSQ. Ces derniers ont été basés sur le code Morin. Je dois ici dire un immense merci à Ernest Monga et Bernard Colin pour leur contribution significative à l’écriture des statuts. Sans eux, nous serions peut-être encore en train de les écrire.
Par la suite, nous avons attaqué la rédaction du Règlement sur l’admissibilité des membres. Comme tous les membres le savent, l’ASSQ possède trois catégories de membres :
- Les membres affiliés qui comprennent toute personne intéressée par les activités de l’ASSQ.
- Les membres statisticiens qui comprennent les personnes détenant un baccalauréat comportant au moins 24 crédits de cours reconnus en statistique ou probabilités, ou un baccalauréat avec expérience jugée équivalente. Les membres de cette catégorie ont le privilège de pouvoir ajouter « stat.ASSQ » (c’est-à-dire, « statisticien selon les critères de l’ASSQ ») à leur signature.
- Les membres institutionnels qui comprennent tous les organismes qui souhaitent soutenir les activités de l’ASSQ.
Bien que ces trois catégories de membres nous semblent banales et même naturelles, la catégorisation en membres affiliés et statistiques a donné lieu à des discussions homériques. D’une part, le Comité de fondation trouvait naturel de mettre une catégorie particulière pour identifier les personnes avec une formation et/ou une expérience particulière en statistique. Ceci allait dans le sens d’un des objectifs de l’ASSQ qui est de « protéger l’intégrité de la profession de statisticien ». De l’autre côté, d’autres personnes croyaient fermement que cette catégorie mènerait à un cloisonnement des statisticiens et à une vision étroite de la statistique. Je me limiterai ici à mentionner que les catégories de membres sont finalement restées et que les organismes des plus grands détracteurs de l’époque sont même devenus membres institutionnels.
Il faut aussi noter que l’ASSQ s’est butée, à ses débuts, à plusieurs personnes qui ne voyaient pas l’intérêt de créer l’ASSQ puisqu’il y avait déjà la Société statistique du Canada (SSC). On répliquait alors que beaucoup de Québécois francophones ne se retrouvaient pas dans la SSC. Il y avait aussi l’argument que la SSC était plutôt vue comme une société savante et que l’ASSQ serait plus axée sur la profession de statisticien : on pourrait alors voir les deux associations comme étant complémentaires. Bref, tout cela a mené à des discussions à n’en plus finir, dont les effets négatifs ont duré assez longtemps, mais qui ont fini par s’estomper. En effet, les membres de l’ASSQ bénéficient depuis quelques années d’un rabais s’ils font partie de la SSC, et vice-versa.
1995 : L’existence officielle
Le 12 mai 1995 est une date clé dans l’histoire de l’ASSQ puisque c’est le jour où elle a reçu les lettres patentes du Gouvernement du Québec. On considère maintenant cette date comme étant la date officielle de la création de l’ASSQ.
Suite à la réception des lettres patentes, il fallait alors se doter d’un conseil d’administration (CA) provisoire. Notez que ce conseil d’administration se devait d’être provisoire parce qu’il n’était pas constitué de membres élus. La raison est simple : l’ASSQ n’avait pas encore de membres et il ne pouvait donc pas y avoir d’élections. Le CA provisoire était constitué des personnes suivantes :
- Président : Mario Montégiani, ministère de la Sécurité publique
- Vice-président : Christian Desbiens, Société d’habitation du Québec
- Secrétaire : Natalie Rodrique, Agriculture et agroalimentaire Canada
- Trésorier : Marc Duchesne, Asea Brown Boveri
- Directeur de l’admissibilité des membres : Pierre Lavallée, Statistique Canada
- Directrice des communications : Julie Trépanier, Statistique Canada
On peut voir que le CA provisoire ne contenait que des membres du Comité de formation. Encore ici, c’est normal puisque l’ASSQ n’avait pas encore de membres.
1996 : Le premier CA
Une fois que l’ASSQ a commencé à avoir des membres, nous avons pu procéder à l’élection d’un CA élu pour remplacer le CA provisoire. Les membres élus du premier CA ont été les suivants :
- Président : Mario Montégiani, ministère de la Sécurité publique
- Vice-président : Pierre Lavallée, Statistique Canada
- Secrétaire : Sylvie Gauthier, Statistique Canada
- Trésorier : François Pageau, Les Technologies industrielles SNC inc.
- Directeur de l’admissibilité des membres : Sylvain Végiard, MAPAQ
- Directeur des communications : Marc Duchesne[3], Circo-Craft
Une des tâches qu’a effectuée le premier CA a été la création du site Web de l’ASSQ. Grâce au soutien de Bernard Colin et d’Ernest Monga, l’Université de Sherbrooke a bien voulu héberger notre site Web à l’adresse suivante : www.dmi.usherb.ca/assq. Cette adresse n’était pas très conviviale, nous voulions une adresse plus facile à se retenir[4]. D’emblée, l’adresse « www.assq.ca » semblait la bonne, mais c’était sans compter la concurrence de l’Association des stations de ski du Québec qui s’était déjà emparée du suffixe « assq.ca ». Nous avons alors contacté cette association pour essayer d’arriver à une entente, mais en vain. Finalement, nous avons opté pour l’adresse « www.association-assq.qc.ca » qui est celle que l’ASSQ a toujours.
Le 27 mai 1996 a eu lieu la première Rencontre annuelle de l’ASSQ. Cette rencontre était, d’une certaine manière, indispensable parce qu’elle comprenait l’assemblée générale annuelle qui, tel que mentionné dans les lettres patentes, doit être tenue par toute association québécoise. Ce fut une très belle rencontre où, en première partie, nous avons eu droit à une excellente présentation de Jean-Jacques Droesbeke de l’Université Libre de Bruxelles sur « L’histoire de la statistique : une leçon pour l’avenir? » La deuxième partie de la Rencontre annuelle a donné lieu à l’Assemblée générale annuelle où, si je me souviens bien, Bernard Colin a tenu le rôle de Président d’assemblée. Le tout s’est terminé dans un bon restaurant et je constate avec joie que cette tradition perdure depuis.
En avril 1996 sortait le premier numéro de Convergence. Julie Trépanier était la rédactrice en chef.
Le contenu du premier numéro était le suivant :
- Mot de la rédactrice (Julie Trépanier)
- Gagner à la loterie : facile… (Marc Duchesne)
- Le « Billet » (Julie Trépanier)
- À propos de l’ASSQ (Membres du CA)
- La loi normale n’existe pas! (Pierre Lavallée)
- Courrier des lecteurs (Daniel Hurtubise)
- Suivre son cours… (Yanick Beaucage)
On voit qu’il y a un certain chevauchement entre les membres du CA et les contributeurs à Convergence, mais il faut toujours garder en tête que l’ASSQ ne comptait alors que très peu de membres. Notons toutefois que le nombre de personnes impliquées dans Convergence n’a cessé de croître en donnant un journal dynamique d’une très grande qualité. Un membre de l’ASSQ qui est aussi membre de la Société statistique du Canada (SSC) a dit un jour que Convergence était plus agréable à lire que Liaison, le journal de la SSC.
J’ai contribué à tous les numéros de Convergence, notamment en étant responsable de la Chronique historique. D’ailleurs, l’article « La loi normale n’existe pas! » relatait le développement de cette loi de probabilité par Gauss. En plus de la Chronique historique, j’ai écrit quelques articles pour le « Billet ». Je me suis même permis de faire paraître quelques dessins humoristiques dont voici quelques exemples.
Ci-dessus, les frères Dalton représentent les frères Bernoulli. Historiquement, on ne sait pas combien des frères Bernoulli ont contribué aux probabilités et à la statistique parce que leurs prénoms, à force d’être traduits dans plusieurs langues, les ont rendus difficiles à différencier. Notez le petit jeu de mots : « t’as dit ‘stique’ » pour « statistique ». Bon, c’était peut-être un peu forcé…
Les tournois de golf
Le premier tournoi de golf a eu lieu en 1997. Christian Desbiens a été l’organisateur en chef. Après une pause en 1998, Claude Ouimet a repris le flambeau et le tournoi a lieu annuellement depuis lors. Ce tournoi est bien sympathique et, en plus de nous permettre de rencontrer des membres de l’ASSQ, il nous permet de jouer dans différents clubs de golf du Québec. Comme l’écrit si bien Claude, « pas besoin d’être un joueur prolifique. Juste l’idée de se retrouver dans cet environnement spécifique, et de se laisser aller à des élans gracieux, parfois catastrophiques, est en soi très bénéfique… Pour nous sortir de notre quotidien combien chaotique. »
À la suite du tournoi, il y a toujours un petit compte-rendu publié dans Convergence. À l’un des numéros, je me suis permis d’ajouter le petit dessin suivant :
Le piètre golfeur ci-dessus est le personnage « M. Mégot », le professeur de gymnastique dans la bande dessinée du Petit Spirou. Notez le subtil petit jeu de mots : « Oui, mais… » pour « Ouimet ».
Aujourd’hui…
L’ASSQ est aujourd’hui une association en santé. En avril 1996, elle ne contenait que 70 membres. Elle compte maintenant 177 membres.
Le CA actuel[5] est composé de l’équipe suivante :
- Présidente : Véronique Tremblay, Desjardins Assurances Générales
- Vice-présidente : Bouchra Nasri, INRS-ÉTÉ
- Secrétaire : Lise Charette, ministère des Ressources naturelles et de la Faune
- Trésorier : Asma Bahamyirou, Université de Sherbrooke
- Registraire : Véronique Tremblay, Desjardins Assurances Générales
- Représentante des étudiants : Laurence Desbois, Université Laval
- Directrice des communications : Yona Bernardo, La Capitale Assurances Générales
En terminant, je voudrais remercier tous ceux qui, depuis 1995, ont contribué à faire de l’ASSQ une association bien vivante. Au départ, on voulait « regrouper les statisticiennes et statisticiens en vue de promouvoir la statistique et d’en favoriser la bonne utilisation », et je crois pouvoir dire fièrement que c’est mission accomplie!
Je m’en voudrais aussi de ne pas remercier les membres institutionnels de l’ASSQ sans qui l’ASSQ ne pourrait pas jouir du statut qu’elle a actuellement. En ordre alphabétique, un gros merci donc à « Hardy, Services conseils », l’Institut de la statistique du Québec, « Solution Stat, Consultation et formation », « SOM, Recherches et sondages », Statistique Canada, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal.
Je conclus avec un immense merci à Mario Montégiani! Sans sa vision, sa persévérance et son implication, l’ASSQ n’aurait jamais existé…
L’ASSQ est vraiment « Une association significativement différente! »
Pierre Lavallée, Statistique Canada
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[1] J’entends d’ici mes détracteurs dire « pourquoi n’utilise-t-il pas le ‘il’, comme César, tant qu’à y être? ». Je pourrais le faire, mais il préfère rester modeste.
[2] On parle encore à Ernest de cette fameuse photo, mais c’est en toute amitié.
[3] Il s’agit bien du même « Marc Duchesne » que celui qui travaillait chez Asea Brown Boveri. Marc aime bien changer d’emploi, mais cela, c’est une autre histoire…
[4] Il faut se rappeler qu’à l’époque Google n’existait pas et qu’il était alors essentiel de bien connaître l’adresse exacte des sites.
[5] NDLR : Au moment de la rédaction du texte, car le CA a changé depuis.